6 – Internet à l’appui de la participation ?
L’univers d’internet est-il en lui-même un espace de concertation ou n’est-il qu’un outil au service et à l’appui de cette concertation ? La réponse à cette question est ambivalente.
Oui,
car les techniques d’information et de communication ne sont pas seulement un outil ou un média de plus. Elles constituent aujourd’hui un support essentiel d’accès à l’information, mais aussi d’évaluation et de comparaison, d’expression et d’échange. En ce sens, elles modifient en profondeur les conditions de formation de la pensée et la réflexion en permettant de la situer par rapport à celles des autres comme elles facilitent l’expression.
Mais…
Même si l’accès s’est considérablement élargi et démocratisé, la fracture numérique existe aujourd’hui moins dans l’accès que dans les capacités d’usages qui varient beaucoup d’un groupe à l’autre selon les caractéristiques sociales et d’âges, notamment. C’est bien d’accéder au média mais c’est autre chose que de pouvoir l’utiliser de manière pertinente.
D’autant plus que…
L’un des objectifs de la démocratie participative c’est de fabriquer du débat collectif. Et que de ce point de vue, il n’est pas certain qu’internet y contribue, même si la dimension collective n’y est pas absente, en particulier à travers les pratiques collaboratives que ce média favorise. L’addition d’expressions individuelles ne suffisant pas à produire cette dimension collective qui naît précisément du processus dans lequel démarche et animation jouent un rôle essentiel.
Sans négliger le fait que la dimension communautaire, voire “tribale” (cf. les réseaux sociaux), très présente, peut vicier la concertation dans son essence même en contribuant :
- à une sorte de “tribalisation” des points de vue, où ceux qui défendent une certaine vision, des points de vue ou opinions identiques peuvent être naturellement enclins à ne dialoguer et à coopérer qu’avec des personnes avec qui ils sont déjà en accord.
- mais aussi à favoriser la captation de l’expression par tel ou tel groupe de pression en position d’orienter le débat et même d’influer sur la décision en raison de la difficulté de poser et gérer les mécanismes de régulation permettant de veiller à l’enrichissement du débat, à la production d’une vision collective et garantir la clarté dans les options de décision.
Il est néanmoins à peu près certain qu’internet, outil en permanente évolution jouera dans l’avenir un rôle de plus en plus important dans les processus et qu’il fera profondément évoluer le cadre d’exercice de la démocratie. Mais, admettons qu’aujourd’hui, l’outil et la manière de l’utiliser ou de se l’approprier ne sont pas suffisamment matures pour qu’internet constitue en lui-même, l’espace de la concertation.
Pour autant, il constitue d’ores et déjà un outil d’appui utile et efficace. Que ce en contribuant à la qualité de l’information par la mise en ligne, sous toutes formes, de tous les éléments disponibles en amont et pendant le processus (verbatim des réunions, relevés de conclusion…) ou en administrant des questionnaires et enquêtes en ligne qui peuvent apporter des éclairages intéressants, de nature à nourrir le débat.
Incontestablement internet est un outil d’appui à la participation qui doit être pleinement intégré à la stratégie de concertation qu’il enrichira nécessairement.
En guise de conclusion…
Chaque concertation est unique, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise méthode. Il faut nécessairement adapter ou inventer des méthodes pour qu’elles correspondant le mieux possible à la question à traiter, au public à mobiliser mais aussi l’ampleur du processus qu’on souhaite engager. Il faut être particulièrement vigilant sur l’équilibre à assurer entre le nombre de personnes que l’on souhaite impliquer dans le processus et le contenu de la concertation. Plus il y a de contenu, moins il peut y avoir de personnes associées. Et inversement, si l’on doit mobiliser un grand nombre de personnes, mieux vaut circonscrire le contenu car il est peu probable qu’elles puissent fournir un travail trop conséquent et approfondi en commun. Ce qui est toujours source de profondes désillusions…
Concerter, c’est s’organiser pour solliciter et aller chercher un avis dont on ne dispose pas par définition. C’est une démarche intellectuelle qui est nécessairement quelque peu déstabilisante car le penchant naturel humain c’est de mettre en avant ce que l’on sait ou maîtrise bien ! Et là précisément, on traite de problématiques qui sont incertaines ou non résolus. Cette part d’incertitude pouvant être génératrice d’appréhensions qui de manière plus ou moins consciente peuvent fonder un refus de la concertation !
Et quel que soit le degré de rigueur et de minutie de la préparation du processus, s’engager dans la concertation c’est donc aussi accepter de faire face à l’inconnu et donc d’être en mesure de le gérer. Car en la matière, souvent les difficultés surgissent là où on les attendait le moins…
Enfin, et c’est utile de rappeler cette évidence pour conclure, il est vain d’organiser un processus participatif dans l’unique intention de rallier les participants à « sa” cause ou “sa” vérité. Cela est aujourd’hui totalement et définitivement inopérant car, comme le rappelait Jean-Paul Delevoye, tout citoyen attentif et exigeant.
ne manquera pas de vous dire “je n’accepte pas une décision politique si elle n’est pas précédée d’un débat. Et je ne participe pas à un débat si je n’en n’ai pas compris les enjeux”.
NB : Vous pouvez retrouvez l’ensemble des 6 posts consacrés au sujet ici.